À la question : “combien faut-il de tonnes de roches pour extraire 1 Kg de lutécium, le métal le plus rare et le dernier de la famille des lanthanides”, vous devrez répondre 1200. Il faut 1200 tonnes de matière pour en extraire ce kilogramme. Certes, c’est un exemple extrême. Mais il faut tout de même 8,5 t de roche pour extraire le même kg de vanadium, 16 t pour 1kg de cérium, 50 t pour 1kg de gallium. Les terres rares, ces 17 métaux pas si rares que ça sur la planète, mais difficiles à extraire purs, ces métaux ont permis des avancées technologiques et on les retrouve dans deux grands champs d’utilisation : l’environnement et les technologies.
Antinomique .
Les terres rares sont utilisées dans les panneaux photovoltaïques, dans les batteries des voitures autonomes, dans les LED, les puces de smartphone, les écrans plats, et même les éoliennes ou les drones (en fait, ils entrent dans la composition des “super” aimants qui équipent tous ces moteurs électriques et c’est leur utilisation qui a permis la miniaturisation des moteurs, pour les drones par exemple). C’est antinomique parce que face à ces merveilleuses qualités, on ne peut s’empêcher de penser à leur plus gros défaut. Leur extraction et raffinage sont des plus polluants, rejetant des métaux lourds, de l’acide sulfurique et des produits radioactifs tels que l’uranium. (Dans les villages proches de la mine de Baotou, en Mongolie intérieure, la radioactivité serait 32 fois supérieure à la normale – contre 14 fois à Tchernobyl).
Antinomique de parler environnement, panneaux solaires, éoliennes, et en même temps d’engendrer de tels problèmes écologiques sanitaires. (En République Démocratique du Congo, qui fournit 50% du cobalt planétaire, les concentrations en cobalt dans les urines des habitants de Lubumbashi, province du Katanga, seraient 43 fois supérieures à un échantillon témoin).
Dans mon n°39, je faisais remarquer que la Chine possédait 25% de la production mondiale de ces métaux rares, ratio qui monte à 80-90% pour certains d’entre eux (la Chine produit 61% du silicium, 67% du germanium, 84% du tungstène et 95% de toutes les terres rares).
Ainsi :
– La course à la technologie passe obligatoirement par des relations économiques cordiales avec la Chine.
– Soutenir un modèle de changement énergétique suppose de doubler la production de terres rares tous les quinze ans (on va extraire davantage de minerai que pendant les derniers 70.000 ans), avec des impacts environnementaux encore plus importants
– La plupart des technologies militaires embarquent des métaux rares. Il y a une dépendance au fournisseur chinois plus qu’ennuyeuse.
Rajoutons pour finir que le monde regorge de terres rares. Dans les années 90, G. Bush et “Maggie” Tatcher ont émis l’idée des “dividendes de la paix” de la chute du bloc communiste. Les réserves stratégiques de métaux rares ont été revendues, ce qui eut plusieurs types de conséquences :
– Une chute des prix qui profita aux Chinois qui rachetèrent le maximum de stock, épuisant les nôtres.
– Disparition des capacités minières (France, “plan métaux” du gouvernement et bureau de recherche géologique et minière (BRGM) qui stoppe en 2000 ses activités, arrêt des mines malgré un sol riche, etc…)
– Utilisation des fonds récupérés par les US (les stocks stratégiques sont gérés par le Pentagone) pour compenser la chute des crédits militaires et financer via la DARPA les drones, avions et bombes de demain.
À toutes fins utiles, quelques pistes pourraient être suivies, comme la diversification des fournisseurs mondiaux, une meilleure prise en compte de ce risque stratégique par les sociétés formées au “just-in-time” et ne considérant plus ces ressources comme un “risque” car hors périmètre métier . Plus difficile dans le lobbying écologique actuel, repenser un plan nucléaire/court-terme et énergies propres/moyen terme.
Et la petite citation pour finir : “Le Moyen-Orient a du pétrole, la Chine a des terres rares”, Deng Xiaoping, 1992, Bayan Obo.
Stéphan Le Doaré
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