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Stéphan Le Doaré

Le culte urgent du sens critique (1/2)

Dernière mise à jour : 14 nov. 2022

Dans les années 2000, nous avons assisté à trois phénomènes majeurs, qui se sont interpénétré, alimentés, pour se co-développer de façon exponentielle.



Le premier de ces phénomènes est la démocratisation de l'Internet, d'abord par l'arrivée de l'aDSL, la 4G puis par la fibre. Notons au passage que certains pays (notamment en Afrique) ont sauté l'étape du cuivre, inexistant dans leurs territoires. L'accès a Internet a explosé avec l'arrivée de la 4G et de nombreuses start-up ont vu le jour. Ces mêmes pays ont refait leur retard en matière de développements informatiques avec une rapidité héritée de la jeunesse et du dynamisme de leurs populations. Aujourd'hui, le maillage Internet est partout, omniprésent, dirige une bonne partie de l'économie mondiale.


Le second phénomène est la naissance et la croissance, là aussi fulgurante, des services que l'on nomme "réseaux sociaux". Créées pour apporter un service libre et gratuit à tout un chacun (Google était au départ un moteur de recherche, Amazon était au départ un libraire "on-line"), les sociétés qui géraient ces services ont très vite développé des services associés dans un eldorado à défricher.

Google était au départ un moteur de recherche, Amazon était au départ un libraire "on-line"

Les méthodes modernes de gestion d'entreprise alliés à une Bourse absolument conquise par cette e-économie et à certains gouvernements qui ont compris l'intérêt de se positionner en leader sur ces marchés a permis à ces start-up de croître à une allure vertigineuse. Aujourd'hui, on cite les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft...) ou les BATX chinois (Baido, Alibaba, Tencent, Xiaomi...) comme des acronymes de puissance numérique dont il ne faut jamais oublier les bénéfices monumentaux. Ainsi, les GAFA sont globalement au dessus des 300 milliards de $.



Le troisième pilier structurant cet ensemble numérique est le développement d'outils de consultation disruptifs. L'arrivée de l'ordinateur portable, de l'iPhone puis de l'iPad ont lancé un marché qui est devenu abordable financièrement pour le grand public. La démocratisation des systèmes d'exploitations rébarbatifs ont laissé la place au "one button" simplifiant à l'extrême l'utilisation de processeurs toujours plus puissants, de systèmes de stockages toujours plus importants.


Ces trois phénomènes se sont pour ainsi dire "trouvés", et chacun a, selon, fait la courte échelle à l'autre, les trois bénéficiant à chaque fois de l'avancée de l'un des trois. Ainsi, plus le stockage augmentait, plus on pouvait enrichir les données. Plus le matériel donnait accès aux réseaux internet, plus l'utilisateur bénéficiait d'un accès facilité à ses réseaux sociaux. Et plus récemment, plus les réseaux sociaux collectaient des données, plus les programmes d'Intelligence Artificielle se perfectionnaient.


Des start-up nouvelles ont vu le jour. Sur les réseaux sociaux, on a vu se créer une séparation de classes : Facebook pour les boomers, Instagram pour les jeunes, WhatsApp, TikTok sont encore plus spécifiques. Les réseaux se sont aussi spécialisés (LinkedIn plutôt professionnel, Pinterest pour trouver l'inspiration, Youtube pour visionner...).

Les différents acteurs ont donc préféré, au titre du profit, développer des systèmes de régulation des réseaux par des I.A. plutôt que par de l'humain trop coûteux.

Derrière ces usages, les Intelligences Artificielles sont devenus plus prégnantes. Ces outils d'I.A. sont tout trouvés pour gérer l'immense flot de donnée que le cerveau humain ne peut embrasser par son empans limité. Et, de fait, ce travail aujourd'hui réalisé par ces algorithmes robots nécessiterait des embauches massives si l'on souhaitait replacer l'humain dans la boucle.

Les différents acteurs ont donc préféré, au titre du profit, développer des systèmes de régulation des réseaux par des I.A. plutôt que par de l'humain trop coûteux.


Quel est le bilan aujourd'hui ?

Avec l'arrivée des sms et la rapidité de la communication, on assiste à une perte de cohérence linguistique. La structure des langues est dévoyée, voire perdue. Les cerveaux sont même modifiés par l'approche tactile et numérique. Globalement, l'esprit n'est plus entrainé aux sujets de fond, complexes, nécessitant références, nécessitant une représentation imaginaire (comme lorsqu'on imagine une scène dans un roman), nécessitant concentration. Cette tendance s'accentue chez les jeunes de façon catastrophique.

Les films, avec leurs effets spéciaux numériques qui rendent aujourd'hui tout possible, dictent un imaginaire qui en plus, déforme culturellement les peuples.

Les jeux vidéos, immersifs à souhait, virtualisent le réel. Ils décrédibilisent la mort par exemple : on peut sauter de 10 mètres ou conduire vite, tuer au couteau ou avec un bazooka sans sentence irrévocable. Pire, l'inconscient personnel et collectif est modifié. Les "bastons" hyper-violentes dans le réel sont le reflet de ces inconscients.

Les séries Netflix sont devenues la nouvelle drogue de milliers d'individus, "accros" au suspens tellement classique et espionnés consciencieusement par la firme. Un monde espionné aussi par les "Alexa", montres connectées, logiciels d'aide à la circulation, les sites officiels gouvernementaux et j'en passe.



L'humain semble aujourd'hui pris dans une nasse numérique qui l'enferme progressivement dans des pseudo-libertés controlées et des systèmes de dépendance dignes d'un shoot de cocaïne (Enlevez une PS4 à un jeune et vous aurez un comportement typique de sevrage mal vécu !).

le discernement et l'esprit critique ont l'air d'avoir été effacés et remplacés par la facilité, l'art de l'amusement et le sens du courant consensuel.

Les systèmes automatiques de censure ou de "proposition selon nos goûts" nous prennent par la main dans un entonnoir d'offres limitées et de plus en plus limitantes. Dans cette spirale vicieuse (et non un simple cercle !), le choix personnel est orienté, la capacité d'analyse n'est même plus posée (des jeunes interviewés ne se posent aucunes questions sur tout ça), le discernement et l'esprit critique ont l'air d'avoir été effacés et remplacés par la facilité, l'art de l'amusement et le sens du courant consensuel.

Retour au réel...

D'un autre côté, l'Homme ne peut se passer de quête existentielle. Que ce soit par la religion, la philosophie, le développement personnel ou autre, sa curiosité et son instinct grégaire l'ont toujours poussé a se réunir pour réfléchir, prendre de la hauteur. Cet instinct, tapi dans ce cerveau reptilien si ancien, se trouve confronté à cette dilution que le numérique distille. Fondu dans la masse, dans la data, dans le "politiquement correct" des réseaux, il luit faut pourtant s'exprimer. Ainsi, nous voyons des associations de personne se fédérer dans la vraie vie, comme pour contrer le triste sort de vacuité vécue sur la toile. Les points de réunion sont ce qu'ils sont du moment qu'ils existent. On se retrouve ainsi autour de valeurs religieuses, philosophiques, idéologiques, politiques, ou tout autre compartiment commun. L'important, c'est de se sentir ensemble, forts, envers et contre tout.



Comme on l'a vu, la baisse de l'attention, l'envie du "tout, tout de suite", l'incapacité croissante d'exprimer son sens critique pèse dans la balance. On en arrive alors à la loi du tout ou rien, le facile "pour ou contre", l'absence totale de nuance et la tension croissante entre factions. On voit aujourd'hui se percuter des idéologies, des philosophies, des valeurs différentes, sans autre possibilité que l'affrontement total. Plus question de discuter, d'argumenter, de nuancer.

On voit aujourd'hui se percuter des idéologies, des philosophies, des valeurs différentes

Ça fait peur, c'est trop fatiguant intellectuellement et on n'a plus le niveau ! Alors, la différence est bannie, huée par le groupe, voire vilipendée, lapidée ou pire. Le lynchage est devenu la norme, la moquerie son corollaire. La dérision, l'attaque personnelle, le harcèlement mènent à la persécution, à l'exploit toujours plus narcissique ou au suicide.


Peu nombreux seront celles et ceux qui m'auront lu jusqu'à cette ligne. Peu d'entre vous de moins de 18 ans, et j'en suis navré, auront le vocabulaire pour comprendre tous les mots employés. Peu d'entre vous, mais je suis sûr que vous partagez mon propos. La seule arme véritable pour contrer ces nouvelles technologies malheureusement dévoyées par des entrepreneurs aujourd'hui milliardaires dont le sincère humanisme laisse septique, est, j'en suis convaincu, le culte urgent de l'esprit critique.


Stéphan Le Doaré




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