Ce jeudi 11 juillet, le parlement français a validé l'application de la "taxe GAFA". Et la réponse américaine est arrivée dans la foulée, comme un retour de bois vert : Robert Lighthizer, le représentant américain pour les affaires commerciales annonce l'ouverture d'une enquête sur les effets de cette législation pour son pays !
L'idée de cette taxe a d'abord germé au niveau européen mais très vite, il est apparu impossible d'obtenir l'unanimité des votes (obligatoire en cas de fiscalité européenne). Il parraissait difficilement concevable que certains pays accueillant les sièges sociaux européens des GAFA se tirent une balle dans le pied (Irtlande, Luxembourg...). L'Allemagne elle-même hésitait à s'attirer les foudres des US avec en point de mire les exportations automobiles allemandes. Le Royaume-Uni, l'Espagne ou l'Autriche envisagent bien une taxe, mais sont bien moins avancés que la France en la matière. Nous sommes donc partis seuls, sans même de Sancho Pança à nos côtés, avec l'idée de taxer de 3% de leur chiffre d'affaires des sociétés oeuvrant dans le numérique et générant plus de 750 millions d'euros de C.A. dont 25 millions en France, sur trois types de critères.
Du côté américain, on envoie quelques signaux depuis le début d’année :
- Le 27 février dernier, Steven Mnuchin, secrétaire au trésor américain, se dit défavorable au projet français…
- Le 13 mars, Chip Harper, le responsable du Trésor américain pour la fiscalité juge le projet "très discriminatoire" et menace déjà de saisir l’OMC…
- Aujourd'hui, le 11 juillet, Robert Lightizer, représentant américain au Commerce, lance donc une enquête sur les effets de cette nouvelle législation pour voir si elle est "discriminante ou déraisonnable". Le principe est de calculer l'incidence de cette taxe sur le commerce américain. Si l'incidence est trop pénalisante, l'enquête débouche sur la mise en place de droits de douane "punitifs".
Le cas est connu, et de plus en plus, avec la bataille commerciale Chine-US actuelle. D'un point de vue économique, il faut noter que les États-Unis changent de posture. Contribuant à hauteur de 25% du budget des Nations-Unis et de l'OTAN, ils dépensent le double de pays comme la France, la Grande-Bretagne ou l'Allemagne si l'on ramène ces chiffres en pourcentage de leur PIB. De nombreux experts américains, dont les conseillers de Trump comme Litghtizer ou Wilbur Ross, le secrétaire au commerce, pensent maintenant que le compromis libéral de l'après-guerre leur est défavorable. Plus encore, Donald Trump réussit dans ce dossier à faire l'unanimité avec un soutien de Chuck Grossley (républicain) ou Roy Wyden (démocrate), tous deux à la commission des finances du Sénat américain !
Et il va être difficile pour la France d'éviter le coup.
- Ces trois dernières années, les GAFA ont été taxées à 28,10%, chiffre équivalent à d'autres entreprises. Sur la même période, le taux d'imposition effectif des entreprises de l’Euro Stoxx 50 était même plus haut : 26,70%
- En légiférant sur des critères suffisants pour d'une part "épargner" des entreprises françaises et en même temps éviter la censure du Conseil Constitutionnel, l'Administration fiscale propose quand même une côte mal taillée. Le fait que Bruno Lemaire se félicite publiquement que DARTY ou CDISCOUNT soient épargnés ne va pas être un plus dans cette enquête !
La vraie problématique, c'est que la France va jouer le rôle d'exemple et donne là le bâton pour se faire battre. Car les Américains n'ont aucun intérêt à ce que de telles taxes fleurissent dans les pays européens. Même si la réforme fiscale américaine a incité des entreprises à rapatrier une partie de leurs avoirs avec un taux de taxation de 8 à 15% (pas que pour les sociétés numériques), Trump attendait 4000 milliards de $ quand seulement 465 millions sont entrés dans les caisses. On pense qu'il reste 3000 milliards de $ "en OPEX", si je puis me permettre, qui sont donc taxables par d'autres. De plus, le président américain perçoit le marché commercial européen comme pire que celui de la Chine et file une politique économique pour laquelle il a été élu.
Trump ira donc jusqu'au bout mais à l’heure de cette guerre économique mondiale, la France a-t-elle les armes pour lutter ?
Stéphan Le Doaré
@stephanledoare
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